Une éclipse au pays du soleil levant

Jean-Jacques Legendre, 06 août 2024

Marchés financiers USA Europe Investissement Asie

Le lundi 4 août 2024 restera gravé dans les annales de la finance japonaise. Ce jour-là, l'indice Nikkei 225 a subi une chute historique de 12,4 %, marquant sa plus forte baisse en une journée depuis le krach du "lundi noir" en octobre 1987. La vente avait commencé le vendredi et s'est poursuivie avec force le lundi, donnant le ton aux marchés mondiaux.

Les marchés financiers, en proie aux doutes face à la politique monétaire de la Fed, ont surtout vacillé hier en raison du débouclage d'opérations spéculatives, spécifiques au marché japonais, le fameux "carry trade" bien connu des investisseurs depuis des années.

Le Carry Trade et la politique monétaire de la Banque du Japon

Le carry trade est une stratégie d'investissement qui consiste à emprunter en yens, une monnaie à faible taux d'intérêt, pour investir dans des actifs à rendement plus élevé. Le renforcement soudain du yen, provoqué par une hausse des taux d'intérêt par la Banque du Japon pour contrôler l'inflation, a perturbé cette stratégie. Bien qu'annoncée depuis des mois, la hausse a surpris les investisseurs qui ont été forcés de liquider leurs positions en actions. Les fonds de trading systématiques sont ensuite entrés en jeu, exacerbant ainsi la vente massive.

Le yen a connu un rallye énergique, les rendements s'effondrant au Japon. Le titre de référence du gouvernement à 10 ans est tombé en dessous de 1 %, et le dollar américain a plongé à un nouveau plus bas sur sept mois face au yen.

C'est ce renforcement du yen qui a sapé la rentabilité de ce "carry trade".

L'explosion du Vix

L'augmentation du trading des options à très court terme a dans le même temps aggravé la nervosité des marchés, avec une hausse historique de l'indice Vix, souvent appelé "l'indice de la peur".

Le Vix a ainsi bondi de manière sans précédent en une seule séance, dépassant même les mouvements observés lors de la crise financière de 2008. Cette surréaction a par ailleurs été exacerbée par la faiblesse des volumes d'échanges typique du mois d'août, par une psychologie de marché de plus en plus court-termiste, face au risque d'explosion de la bulle de l'IA, mais aussi étonnamment par les conditions météo liées à l'ouragan Beryl. Le tout, dans un contexte de risques géopolitiques au Moyen-Orient.

Les marchés boursiers ont ainsi été pris dans cette spirale baissière, exacerbée par les craintes d'une récession aux États-Unis. L'indice Nasdaq a chuté de 3,43 %, tandis que l'indice plus large S&P 500 a chuté de 3 %. En Europe, l'indice paneuropéen Stoxx a chuté de 2,2 %.

Un risque de récession ?

La faiblesse inattendue du rapport sur l'emploi aux États-Unis vendredi dernier a en effet ravivé les craintes d'une récession aux États-Unis, qui pourrait compromettre l'atterrissage en douceur de l'économie, espéré par la Réserve fédérale et les investisseurs.

On a ainsi mis en avant la "règle de Sahm", du nom de l'économiste Claudia Sahm, qui a défini la règle qui porte son nom et qui stipule qu'une récession est en cours lorsque la moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage dépasse d'un demi-point de pourcentage son niveau le plus bas des 12 mois précédents.

Les marchés boursiers en Europe et aux États-Unis ont ainsi chuté fortement sur la base de cette crainte, mettant en lumière que la Fed aurait commis l'erreur de ne pas engager sa politique de baisse des taux lors de sa dernière réunion en juillet, remettant en question l'idée d'un résultat "Boucles d'or" (c'est-à-dire une économie où les banques centrales parviennent à contrôler l'inflation sans pénaliser trop fortement l'activité).

L'économie américaine présente pourtant des signaux contradictoires. La croissance du PIB a atteint 2,8 % au deuxième trimestre, et les ventes finales aux acheteurs nationaux privés se sont maintenues à 2,6 %, indiquant une demande sous-jacente solide. L'indice d'activité des services de l'Institute for Supply Management (ISM) est revenu en territoire d'expansion, et une mesure concurrente de S&P Global montre une activité proche de son plus haut niveau depuis plus de deux ans.

Certains analystes ont déjà remis en question la pertinence de ces chiffres du chômage, car les employeurs américains continuent d'ajouter des emplois et le taux de chômage est passé à 4,3 % non pas en raison de licenciements généralisés, mais parce que plus de 400 000 nouveaux travailleurs ont rejoint la population active le mois dernier.

Claudia Sahm, elle-même, a déclaré lundi à Bloomberg TV qu'elle pensait que l'économie n'était probablement pas en récession à l'heure actuelle, mais que "nous nous en rapprochions de manière inconfortable".

Si certains investisseurs voient la vente comme un signal que l'économie est en danger de récession, d'autres estiment que le mouvement est plus le résultat d'un éloignement des paris excessifs, en particulier sur les actions technologiques et l'intelligence artificielle.

Conclusion

En conclusion, la chute brutale du Nikkei était principalement due à des facteurs spécifiques au marché japonais, notamment le carry trade et la politique monétaire de la Banque du Japon, avec seulement une influence partielle des risques globaux liés à l'IA et à la supposée récession américaine.

Cette crise, bien que spectaculaire, s'est avérée transitoire, soulignant la résilience des marchés financiers japonais.

En excluant ces facteurs externes et en restant concentré sur le problème essentiel, à savoir le risque de récession aux États-Unis, nous ne pensons pas qu'il y ait péril en la demeure, dans la mesure où, contrairement à la récession pandémique de 2020, la Fed dispose actuellement d'une marge de manœuvre plus grande pour réduire les taux d'intérêt et ainsi lutter contre une éventuelle récession.


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